La dernière séance du séminaire culturaliste « LmM » consacré au sport a eu lieu le 11 avril 2024. Cette dernière séance a pris une forme un peu particulière, puisque nous accueillions Géraldine de Margerie, Maxime Donzel et Julien Patry, les créateurs et créatrice de la série Toutouyoutou. Notre collègue Clément Scotto di Clemente, qui est aussi le chorégraphe de la série, a joué le rôle d’animateur de la séance.

Après une présentation des trois invité·es, Clément Scotto di Clemente a raconté le pitch de la série Toutouyoutou : quatre femmes, dans le quartier de Blagnac, voient leur vie modifiée par l’arrivée de Jane, qui introduit les cours d’aérobic dans cette France provinciale des années 1980 et qui va déclencher un grand enthousiasme. Mais Jane n’est pas celle qu’on croit… C’est une espionne qui cherche à infiltrer la base aéronautique de Blagnac.

La discussion s’est déroulée à peu près ainsi :

Première question sur le mélange des genres dans la série.

Le point de départ est l’envie de parler de femmes, de sororité, mais dans un contexte qui ne serait pas parisien. S’y est ajouté très vite l’aérobique ; l’espionnage permettait de rajouter une approche décalée.

La deuxième porte sur la figure de Jane : quelle inscription de cette figure très américaine (Jane Fonda) dans le contexte français ?

Il y avait en effet dans la France des années 1980 une valorisation énorme de la pop culture américaine. Jane Fonda, qui avait pris du poids suite à un accident, avait suivi un cours d’aérobique ; elle avait lancé un livre et puis des cassettes VHS.

Jane Fonda raconte dans son autobiographie (My Life so far, 2005) qu’elle a reçu de nombreuses lettres de femmes disant que c’était la première fois qu’on leur proposait des sports où l’on sue, des sports qui musclent ! Il n’y avait jusque-là pas de propositions sportives, parce que le sport était considéré comme un danger pour la féminité. L’aérobique offrait quelque chose d’érotique, de physique, sans doute d’assez narcissique et très individualiste (une forme d’autoérotisme).

Parallèlement, Jane Fonda est une militante, pour les droits civiques, pour l’émancipation féminine.

Ce poids historique, des années 1980 « marron », est très présent dans la série mais en même temps on reste dans un monde très fantasmé.

Ce qui rend cela possible, c’est le ton de la comédie, qui permet de marquer les contrastes (entre les vies françaises ternes et une américaine très américaine) : Jane est très « bigger than life » ; c’est un produit.

La référence esthétique, c’était la série Madmen : il s’agit d’assumer qu’on parle d’aujourd’hui à partir du passé ; on parle des années 1980, mais c’est un commentaire, plus que du réalisme.

Comment se passe le travail même d’écriture ?

Le point de départ est un brainstorming collectif, avec un scénariste en support. Ça a été le moment d’un apprentissage. L’organisation globale demande que les personnages évoluent, mais en parallèle et dans une interaction. L’écriture a lieu tout au long de la production : le point de départ est un premier document transmis aux producteurs ; puis une « bible » avec des scénarios et des présentations des personnages (leur évolution) ; un séquencier (avec des éléments très précis : extérieurs jours, etc.) et enfin un scénario, terme à terme. Pour autant, dans la suite, les choses ne sont pas fixes : la série est sans cesse réécrite, pour des raisons de limites de budget, en liaison avec le casting et le travail avec les comédiens et comédiennes (séances de lecture), au moment du montage (où beaucoup de choses sont réécrites), etc.

Sur l’écriture du sport, sur quoi vous êtes-vous appuyé·es – est-ce qu’il y avait des contre-modèles ?

L’inspiration vient plus de Cat’s eyes (animé japonais 1983-1985), moins de séries sport. On peut citer aussi le film de James Bridges Perfect (1985). Enfin, bien sûr, l’émission télévisée Gym Tonic de Véronique et Davina qui a introduit l’aérobic en France et les vidéos même de Jane Fonda.

L’idée était de raconter comment des femmes allaient s’émanciper et devenir actrices de leur vie avec l’aérobique.

Une des contraintes d’écriture était que le sport est très répétitif ; l’espionnage permettait d’amener plus d’enjeux. Mais il s’agissait quand même qu’il y ait de l’aérobic à chaque épisode (que chaque épisode illustre un aspect de l’aérobic : les bras, les jambes, etc.) et que cela fasse avancer les personnages : on part d’une femme qui pratique seule ; les femmes lui demandent de leur apprendre ; puis au fur et à mesure, elles se l’approprient. Enfin, il fallait qu’à épisode ces séances d’aérobic soient mises en scène différemment (une séance où on travaille sur le bas du corps et qui correspond à une scène de séduction). De même, d’un point de vue du mouvement de caméra, il y a une modification à chaque scène : par exemple, dans la séance de séduction, par exemple, la caméra balaie le corps, descend sur le bas du corps.

Comment est-ce qu’on tient l’équilibre entre drame et comédie ?

Jane offre un bracelet avec marqué : « be who you wanna be » ; le personnage l’interprète à sa manière et se trouve en décalage, avec des questions de boulimie, un plan en contre-plongée dans les toilettes. Le ton de la série concilie toujours une approche assez légère de choses graves. Selon une logique : « tout est foutu, alors autant en rire ». La dimension réaliste et très documentée était essentielle pour tenir cet équilibre de dramédie.

 

 

 

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